dimanche 26 avril 2009

Mémoire Intemporelle


Extirpé du non-lieu, du non-temps, du vide antérieur à toute séparation d'avec la totalité Une, arraché à la saveur unique de n'être rien de particulier tout en étant complet, un point sans dimension pas beaucoup moins que rien entre en danse.

Invité par la vie, il résiste en vain. Rien, non rien n'arrêtera ce diable de processus qui le pousse invinciblement dans un tourbillon d'énergie car la Vie est entrée en lui.
Je me souviens… je me souviens de la première rébellion qui présida à ma conception. Elle fit l'objet du rêve qui hanta ma première nuit et celles des premières années de mon existence dans le monde des mortels. J'appartenais encore pour quelque temps à l'immensité sans borne, sans sujet ni objet, sans attribut, un monde nu.
Dans ce vide de tout concept et de tout amalgame organique, je n'étais que ce point infinitésimal luttant pour retourner au Vide, la bienheureuse paix, le non-lieu où rien ne contredit rien. Mais rien ne pouvait entraver ce diable de processus, une destinée m'était octroyée sans choix. Je devins une étincelle bleue. C'est sous cette forme que j'entrai dans la matrice et dans le monde des mortels lors de l'union amoureuse de mes parents. Je commençai dés lors à tourner dans la série la plus cotée:
"JE" danse avec la Vie... "JE"danse avec la Mort" ...
Saga très populaire agrémentée d'épisodes pleins de violence et de souffrances aussi cruelles que variées. Je sus d'emblée et ne l'oublierai pas, que la prétendue mort ne met pas un terme à ce conte de méchante fée, qui va ricochant de vie en mort, de mort en vie, enfermant l'être illusionné — dindon d'une mauvaise farce — dans un cercle magique apparemment sans issue.
Apparemment, car d'Aucuns ont trouvé l'issue de secours et s'évertuent depuis l'aube des temps à montrer le chemin menant à la délivrance. Mais les mortels, friands de pouvoir, de richesses, de gloire, oublient qu'ils ne font que briller fugitivement dans ce monde, pour ne s'intéresser qu'à leurs rêves. Les Éveillés, eux, sont à court de mots pour décrire ce qui est au-delà des mots à des rêveurs, ignorant qu'ils sont égarés dans un monde de leur fabrication construit sur des noms. Ils procèdent donc par symboles ou métaphores, par épopées ou contes de fées afin de pointer la réalité cachée sous les apparences induites par les sens.

Ce qui n'est pas nommé n'existe pas, scientifiques, philosophes, tous s'accordent à le dire. Le rêve — ou le cauchemar — que nous appelons "notre Vie", le rêve de notre société que nous nommons l' "Histoire", le Monde qui nous entoure et les objets qui le meublent reposent effectivement sur des concepts, des noms, des conventions. Alors… Lorsque l'on n'est qu'une infinitésimale étincelle bleue vacillant dans le vide, précipitée dans une matrice sans choix, et sans vocabulaire pour exprimer la première d'une série d'expériences qui vont s'enfiler comme des perles sur le collier de l'existence, il ne reste en somme, pour pallier le manque et tenter de la décrire, que le souvenir de ce rêve récurent, gravé dans la mémoire postérieure à l'événement.

Voici donc ce qui n'est qu'une approximation lointaine de ce qui parut se produire dans le Vide originel, ma demeure de félicité, au moment où un diable de processus me força à le quitter pour devenir fœtus, bébé et enfin, mortelle hallucinée.

AU SECOURS JE NAIS!

Je me souviens d’Ailleurs comme si j’en venais
J’en ai la nostalgie comme du plus précieux
Joyau de ma couronne
J'ai perdu mon royaume
Des contrées de la joie
Et je suis hors de moi
Otage d'un JE faussaire
J'ai perdu ma rivière
De diamants sans défaut
Une chaîne pesante
Faite de douze anneaux
Me maintient prisonnière

J'ai le goût d'un Ailleurs foyer de ma présence
Intime familier minuscule et immense
Libre comme le vent
Serein infiniment
Je me souviens d'Ailleurs comme de ma demeure
Mon domaine ou mon leurre spacieux comme le ciel
Je me souviens d'Ailleurs
Comme d’une musique
Sur une note unique
Faite à ma résonance
Ou comme une fragrance
Une unique saveur

Je me souviens d'Ailleurs
Comme d'une lumière
Dont je serais la source
Une clarté lunaire
Qui inonde le cœur
Illumine l'esprit
Je me souviens d'Ailleurs
Comme d'un don du ciel
Abolissant le manque
L'aliénation, la peur.

Que ne suis-je à moi-même
Un refuge de paix
Un tout puissant joyau
Accomplissant les souhaits
Que ne suis-je instrument
Musicien auditeur
Que ne suis-je musique
Exprimant cet ailleurs...

Ne suis-je pas Cela dans une non-mémoire
Un ici nulle part où les mots n'ont pas cours
Un non-lieu où la vie coule comme l'amour
Un non-temps où la mort
Ne fut jamais conçue
Mais... qui parle d'Ailleurs?
L'ailleurs de quel ici?
Comment le situer cet Ailleurs autrement
Ce parfum de présence
Ce goût de plénitude
Vide de référence

Et comment s'empêcher
De le chercher sans fin
Je l'ai c'est irritant
Sur le bout de la langue
Cette saveur unique
À nulle comparable
Je l'ai au bout du nez
Ce parfum de bonheur

Cet Ailleurs Autrement
Comme un air lancinant
Me parle d'un Ailleurs
D'un Autrement meilleur
Dont je me moque
Ici et maintenant
Éperdument

Mise en veille. Dans les champs de silence, dans l'espace indifférencié, dans l'intemporel, l'inconscience innée, dans l'inconnu sans borne sans friche et sans culture, germe une pulsation, un point sans dimension, un germe de conscience, une infime présence ignorée d'elle-même.

Mise en veille. Une aube d'être point, une onde se propage dans le champ indifférencié, un parfum de présence s'élève, conjuguant le verbe être avec cinq éléments, cinq facettes d'un seul et même diamant. Blanc, jaune, rouge, bleu, vert, les couleurs fusent. Dans l'indigo de la nuit galactique un cosmos se déploie sur la trame du vide. Sept cordes de lumière tissent l'arborescence des noms à l'infini, sept notes de musique égrenant leur arpège engendrent l'harmonie. Et voici que la Roue de Fortune commence à tourner.
Le programme est créé: Nouveau dossier

La conscience s'allume avec sa créativité produisant des images, des paroles, des pensées. Palais des vents, galeries de reflets, mirages apparaissant se dissolvant l'instant suivant.
Dans un passé lointain l’harmonique recule à l'horizon du son, se perd dans l'inaudible. Une étoile s'éteint. L'oubli rampant gagne du terrain, tisse une taie sur la conscience. Une chape de plomb tombe sur l'œil du ciel, obstrue la transparence, cache sa nudité. Dans le miroir du vide un mirage miroite, un écho s'amplifie, une image se profile. Déclic instantané, diaphragme obturé, l'acquis voile l'inné. La sagesse s'endort et le moi se réveille à jamais prisonnier du monde des reflets. Programme verrouillé.
Anne ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?
Il n'y a rien à voir. L'imagination peut tout s'offrir et ne s'en prive pas, tu vois ce que JE veux dire?
Non. Que veut dire JE?
Passons notre chemin il n'y a rien à voir, que des effets spéciaux, de l'imagerie, de l'événement, des sensations, des émotions... Bon, d'accord, cela crée de l'animation, mais il n'y a pas de quoi fouetter une crème! Tout est gratuit. Simple effet produit, et un effet d'effet ne fait pas une cause mais toujours plus d'effet. Et plus tu y crois, plus tu y crois! Le cercle vicieux, quoi... tu vois ce que je veux dire!
Non, ma sœur, non, je ne vois toujours pas ce que "Je" veux dire.
Je vois l'indésirable se produire, sans choix, spontanément. Une cloche fêlée résonne platement. Le miroir de cristal divinement poli, le tout réfléchissant se brise en mille lignes, chaque ligne s'élance en mille directions dans une arborescence toujours plus foisonnante de concepts et de noms. Qu'est-ce qui peut mettre un terme à l'énumération? La liste des données va se multipliant, s'allonge à l'infini, s'enrichit follement... jusqu'où, ma soeur? Jusqu'à quand?
Jusqu'à ce que ton nom s'efface de la liste des vivants.

Tous les matins du monde à l'orée de la vie des trombes de je suis pleuvent de mon ciel de lit. La mémoire monte comme une marée, envahit le champ, déborde la conscience. Elle noie le visage de la réalité sous un rideau de pluie dont chaque goutte est moi. Des images éclosent du vide, des volées de concepts obturent la conscience, emplissent le silence, fermentent d'une aigreur qui fait lever la pâte du monde, et lorsque le soleil de la raison monte à l'horizon, éclipsant la clarté innée, la lune féminine s'efface sans discuter. Le rideau peut alors se lever sur la scène du monde, la mémoire est chargée, la représentation se joue dans un espace et un temps donnés, la fiction dont JE suis le protagoniste peut se dérouler.


Un simple grain de sable et ...
...l'indésirable se produit

Comment évoquer ce qui est autrement? Avant les mots? Comment te faire éprouver l'indescriptible situation, le laborieux processus de germination et de naissance du bébé en terre étrangère. Il ne reste pour le traduire que la musique, le chant, mais je suis née amnésique, j'ai perdu la trace de l'intemporel.
Il me reste pourtant un fil, un tracé subtil, un rêve inexplicable comme un tableau abstrait ou comme un code barres. Un rêve récurant qui imprègne les nuits du début de ma vie.
S'il pouvait rendre compte de ce qu'il a rêvé, que dirait l'embryon en train de s'incarner?

"Mais, ma parole! Quelque chose se produit! Que se passe-t-il? Rien ne va plus...je me plisse, me froisse, m’englue. Me voilà enlisé, embobiné, ratatiné. Je suis boisseau, fagot, buchette de mikado, je me hérisse en une herse de piques dressées pour m'empaler, je suis barbelé rouillé sur fond de ciel plombé. Retour au lisse... Délice... Oubli...Mais ma parole! Rien ne va plus...L'indésirable se produit.
Je suis saisi, tremblant comme de la gelée, je prends comme une sauce, me fige, me coagule. Perdu le fil de claire lumière, la fluidité, le lisse, le soyeux. Je ne suis plus, je deviens. Purée, caillot, grumeau, faux pli. Vite! Écarter, fouiller, lutter, se débattre, refuser de pédaler dans la glue. Arrêter le programme! Quitter... Quitter!
Où est la commande? L'issue de secours? Pas d'interstice, pas de vide par où se glisser. Compact. Trop épais. Écœurante, la mayonnaise prend, épaissit... je suis gelée... plâtre... béton. Comment arrête-t-on ce diable de processus?
Rien ne va plus. L’indésirable se produit.
Le fil est rompu. Qu'est-ce qui est rompu, fêlé, altéré, réduit, comprimé, densifié? Qu'est-ce qui s'est renversé, distordu, dénaturé?
Rien ne va plus. L'indésirable se produit

Rester sans mouvement. Faire le mort, comme si de rien n’était. Nier l’événement.... ça ne marche pas... ce diable de processus se déroule automatiquement... arrêter le courant.
Attention! Les lignes de force manifestent une tendance à se distordre... architecture bancale... attention... configuration perverse...
L'inacceptable se produit! Des dispositions malsaines cherchent à s'imposer. Schéma refusé! Refusé... refu....
Ouf! Le pire est évité.
Épuisantes, les tentatives se répètent en vue d’aboutir à une intégration acceptable. Où est la cible? Plis, frottements, rugosité. Revenir, vite revenir au lisse — le foyer, l'état antérieur, le non-lieu, le point sans dimension non inscrit dans le temps. Impossible.
Tout a commencé avec un infime battement de cil et le cil est tombé dans la soupe et la soupe a débordé et les vannes du ciel se sont ouvertes et l’espace et le temps déferlent. Au secours! La sauce prend! Les ingrédients s'assemblent sans qu'on n'y puisse rien. Tout devient compact. Noir.
Combien d'années lumière dure le processus? Des milliards? Une seconde d'inattention a peut-être suffi et...
SCHPLAOUF!
Naufrage dans la matière... Rien ne va plus, les jeux sont faits.... Je m’enlise... lise...lise...

L’improbable se produit:
AU SECOURS ! JE NAIS...
Je suis tombée du ciel dans l'océan du monde... et je ne sais même pas nager.

Il paraît que "JE" est de sexe féminin. Ils m'ont appelée
Lise.

mardi 7 avril 2009

"POUR VIVRE LE PRÉSENT IL FAUT ÊTRE VIDE"

Ai-je rêvé? Non j'ai bien entendu ces mots de la bouche de Michel Vaujour, entre la poire et le fromage, au cours d'une interview sur France 2 par Elise Lucet, "Braqueur récidiviste, Michel Vaujour a passé vingt-sept ans en prison dont dix-sept à l'isolement, quartier de haute surveillance. Il s'est fait la belle à cinq reprises, la légende ayant retenu son évasion de la Santé en 1986, par hélicoptère, avec l'aide de sa compagne Nadine. Quatre mois plus tard, il est repris lors d'un braquage qui dégénère en fusillade, au cours de laquelle il prend une balle dans la tête. Hémiplégique, il se rééduque seul et bénéficie, en 2003, d'une modification de la loi sur les conditions d'obtention d'une libération conditionnelle. Il se voit accorder une remise de peine de seize ans." Pour répondre aux questions du journaliste, Michel Vaujour tente d'expliquer "comment il a puisé des forces en lui, comment il a perdu " la capacité de la joie", comment il provoquait des situations limites parce que la seule chose qui le faisait vibrer, "c'était la mort", comment il s'est réinventé "par le voyage intérieur". Il parle de "la beauté de ce qui nous est offert". Des yeux bleus, une émotion qui affleure, une puissance spirituelle qui impressionne l'écran… LE MONDE | 07.04.09 | 15h44 …il parle de la concentration sur un point unique, le regard braqué vers l'intérieur, Élise Lucet s'exclame "Mais alors, vous êtes un moine zen!" L'homme se contente de sourire, il s'est libéré de tous liens, y compris des plus tenaces: les labellisations. "Ne me libérez pas, je m'en charge" : portrait du détenu en geôlier de lui-même, un film de Fabienne Godet à ne pas manquer. Michel Vaujour vient à point pour m'aider à formuler ce que signifie le titre de ce blog, Recherche dans le Vide. La toile est l'espace virtuel dans lequel tout peut s'inscrire. Le vide est la condition première pour que n'importe quoi puisse s'afficher. Sans le vide de la page blanche, rien ne pourrait apparaître. Sans le vide galactique, pas d'étoiles, de planètes, de galaxies, d'univers et donc, ni terre, ni humains, ni quoique ce soit. Dans le plein rien ne peut être ajouté, ni le boire, ni le manger, ni le bébé,rien ne peut advenir, pas de place pour l'existence phénoménale. Ce qui est vrai pour le monde physique l'est également pour l'espace de la conscience. Si notre esprit était bourré de pensées, il n'y aurait pas de place pour la moindre idée nouvelle, pas de création, pas d'ouverture, aucune fenêtre sur l'immensité, pas de nuit étoilée, que du plein! Un cauchemar en béton. Dans une pièce entièrement bourrée de meubles on ne pourrait chercher ni trouver le moindre objet. Le Vide est donc non seulement précieux mais indispensable, et cependant, pour beaucoup d'entre nous, y faire face ressemble à une "mise en abîme", la terreur, le néant, la mort… C'est ainsi que dans notre refus d'affronter le silence mental, nous vivons parasités par des pensées incessantes, ce que certains appellent "la voix dans notre tête". Faut-il donc être en prison, en quartier de haute surveillance, dans la solitude, le silence, coupé de toute stimulation sensorielle, de toute affection, de toute forme de vie pour affronter le vide? Faut-il être un moine bouddhiste en retraite dans le noir comme cela se pratique dans la recherche spirituelle? Non. Laisser le flot des pensées s'écouler sans y prêter attention est une possibilité à la portée de chacun, le moyen et l'occasion d'être présent ici et maintenant au lieu d'être perdu dans ses pensées. Des pensées pour la plupart futiles —vaines comme dirait l'Ecclésiaste. Si l'on en croit l'expérience de Michel Vaujour, et celle de bien des chercheurs spirituels, pour réaliser combien il est merveilleux d'être vivant "il faut vivre au présent, et pour vivre au présent il faut être vide". Tel est le fin mot de l'histoire qui débouche sur… devinez quoi? La Recherche dans le Vide, et peut-être bien aussi sur le bonheur de vivre même avec le minimum vital et en période de crise!