Le 14 Mars 2009 premier anniversaire de Rencontre dans le Vide.
Souhaitons-lui longue vie et beaucoup d'amis abonnés intéressés par l'enquête spirituelle que nous menons ici dont la motivation est le bonheur de tous, la libération de la souffrance et de la méconnaissance. Le but de notre recherche, il est bon de le rappeler, est d'éclairer le projecteur de notre intelligence afin de mettre en lumière les notions fausses dont on a meublé notre esprit. Cela peut nous permettre de réaliser que nous sommes UN, d'aimer les autres comme nous-même et d'instaurer la paix dans nos cœurs et sur notre Terre d'asile. Cela nous aidera à opérer peu à peu la mutation indispensable à notre survie, menacée par divers ennemis, les pires n'étant pas à chercher à l'extérieur mais en nous. La liste est longue! Pour n'en citer que quelques uns, ils s'appellent l'égoïsme, la haine, l'attachement, l'avidité, l'ambition, l'envie, la jalousie et la méconnaissance d'où ils surgissent tous. Chacun de nous a pour mission de se guérir de ces "virus" responsables de tant de souffrances.
Le Dalai Lama enseigne qu'il s'agit de cultiver leurs opposés, les antidotes à ces passions perturbatrices consistant à développer l'amour altruiste, la compassion, l'éthique, à instaurer le calme, la sagesse, la vue juste. Pour ceux que cela intéresse, référez-vous pour plus de détails au livre dont je parle ci-dessous.
R.D.V. affiche 16 abonnés, mais je sais que nous sommes plus nombreux par le courrier que je reçois. Je souhaite que tombent le plus tôt possible les réticences à l'égard d'internet, de ses procédures d'inscription et du fait de se déclarer par l'écrit sur un sujet qui demande un effort. Mon vœu est de voir s'approfondir votre réflexion et se multiplier vos commentaires car l'interactivité me parait une dynamique créatrice pour un réseau. Prière donc de ne pas me laisser en carafe comme une bouteille qu'on jette dans le Vide avec un S.O.S. ...
Le tout premier billet que j'ai publié à propos d'une citation de Lord Bowen, a suscité un commentaire de Mélina me demandant de raconter ma première entrevue avec le Dalai Lama. Elle n'ignorait pas que j'avais traduit et rédigé Cent éléphants sur un brin d'herbe, recueil de conférences et d'enseignements du Dalai lama (paru au Seuil en Poche). Je lui ai répondu par la promesse de l'écrire. C'est chose faite, voici le récit de cette première rencontre.
Je suis de toute évidence.
Simple constat. Voilà. C'est tout.
Lorsqu'on détourne son attention du spectacle permanent du monde, que l'on cesse de fabriquer quoique ce soit avec ses mains ou son esprit tout en restant intensément présent à soi-même, que perçoit-on? Un "Je suis" de toute évidence s'impose à nous sans mots. On l'éprouve, on le sait sans avoir recours à la pensée. Simultanément, l'on découvre que ce "je suis", né du silence, n'est pas différent de tous les je suis du passé du présent du futur réunis ici maintenant dans l'instant. Je n'ai jamais cessé d'être cela, même en rêvant, même en dormant.
Ainsi, je suis! Et il en est de même pour chaque être vivant. Et tout comme je tiens passionnément à rester consciente de ce je suis, chacun y tient pareillement. Même le moustique aime être et redoute la main qui va s'abattre sur lui, et je ne vois pas ce que cela change d'affirmer que c'est instinctif. Il n'y a qu'un seul et unique je suis, un être infinitif, un étant participe présent, impersonnel, qui a sa source et sa demeure en chaque être vivant, mais pas à la manière d'un Dieu au sens commun du terme, mais en tant que pure présence, consciente du fait d'être.
Ainsi donc chacun se sent être tout comme je le ressens. J'écoutais ce sentiment résonner et ricocher dans des zones profondes de conscience, la pensée le traduisait en mots: nous, tous les êtres vivants, avons ce fond commun. Cela saute aux yeux une fois qu'on l'a vue, je suis a le même goût pour tout le monde — quand il n'est pas additionné du piment des émotions —, le goût même de l'existence, la saveur d'être. On l'éprouve surtout dans les moments d'émotions fortes, joie, colère, peur, en particulier si notre vie est menacée, et dans ce cas, j'ai l'intime conviction que la certitude d'être et d'y tenir bigrement est aussi intense pour le moustique qui voit la main prête à s'abattre sur lui que pour le ci-devant face au bourreau et à la guillotine.
Bon, alors je suis… comme tout le monde, mais cela ne me dit pas de quelle nature je suis vraiment. Toute de matière? Toute d'esprit? Ou bien moitié-moitié? Ou quelque chose de tout autre qui n'est ni l'un ni l'autre, ni les deux réunis?
À ce stade de mon enquête, mon intuition me souffla un vent de liberté qui fit naître ma détermination : j'étais à un carrefour de mon existence et je me savais libre de choisir ma direction. Allais-je conserver ma vie bourgeoise, ma Lancia métallisée et ma liberté restreinte pour prendre les autoroutes de la Grande Illusion? Choisir la renommée, le vedettariat, le luxe, les média, pleins d'attraits et de pièges pour une jeune femme de mon époque? Je décidais de renoncer à mon confortable cadre de vie — cela ne me coûtait guère — au public et à la scène avec lesquels je me sentais enfin à l'aise, à dix ans de métier d'auteur compositeur interprète chèrement acquis. Il me fallut longtemps pour admettre que dans ce domaine, je m'étais lésée, mais forte de ma trentaine glorieuse couronnée par la naissance d'un fils — rayon de miel et de lumière — et de la présence à mes côtés de son père, confiante dans l'amour qu'ils m'inspiraient, j'ai pris sans hésiter "la route des Indes" et des légendaires chemins de Katmandou. J'étais déterminée à trouver coûte que coûte celui ou celle qui confondrait mes doutes et m'aiderait à découvrir la vérité sur ce que j'appelle mon moi de fortune, sur ce drôle d'Univers tricoté d'espace et de temps, et sur ce que j'étais venue faire dans ce monde étrange, inhumain.
Je devais rencontrer Lama Thubten Yéshé l'ami spirituel que j'appelai de mes vœux, dans la vallée de Katmandou quatre mois après mon arrivée en Inde. Pourtant, ce n'est pas lui qui s'est présenté en premier mais celui qui m'a mis sur sa piste, son propre maître, le messager de la sagesse, de la compassion et de la vérité dont j'étais assoiffée, l'élu du peuple Tibétain et de bien des chercheurs spirituels de par le monde, je veux parler de Sa Sainteté Tenzin Gyatso le XIVè. Dalai Lama.
Cette rencontre tellement tellement improbable m'a laissée médusée au point qu'aujourd'hui encore, après tant d'années, je frémis en écrivant ces mots comme si le temps ne s'était pas écoulé. C'est ainsi que "cela" arrive, c'est ici et maintenant que tout peut toujours arriver, à chaque instant, sans s'annoncer. Miracle ou calamité. Nous avons intérêt à devenir flexibles, et pas seulement en exerçant notre corps en petites foulées, mais également notre esprit, afin de développer sa capacité à lâcher nos schémas de pensées caduques au profit d'un nouveau paradigme mieux adapté à l'évolution. La loi de l'évolution des espèces découverte par Darwin nous rappelle que sommes condamnés à muter ou à disparaître. Mais qui a dit que les disparus sont plus à plaindre que les apparus? Encore un préjugé à reconsidérer!
Pour revenir à cette rencontre insolite, elle me parait exemplaire de ce que K.G Jung a dénommé la synchronicité. Le fait que le Dalai Lama soit arrivé au Kashmir, à Srinagar, sur le lac Dal, justement à l'époque où nous y séjournions, me parut l'effet d'une grâce — encore que je ne sache guère ce que recouvre ce mot. Nous demeurions à bord du "New Cuty Sark", un petit houseboat dont les boiseries de cèdre richement sculpté répandait un parfum entêtant; ancrée au milieu du lac semé de lotus roses, cette idyllique demeure flottante nous avait été attribuée pour la saison ainsi qu'un cuisinier et un serviteur, Gulam Rassoul, un jeune Kashmiri timide et empressé, parfaitement stylé, qui nous servait nos repas pieds nus et en gants blancs. Il sut d'instinct protéger notre intimité contre l'intrusion des marchands dont les shikaras débordant de marchandises se collaient au New Cutty Sark comme des tiques sur un chien.
Après m'être levée dés 4h pour aller à l'aéroport accueillir les groupes de touristes français que je devais accompagner jusqu'à leurs houseboats respectifs, et par la suite, guider tout au long d'un circuit au Kashmir et au Ladakh, j'étais revenue sur le house-boat amiral de Monsieur Siah, l'ainé des Siah's Brothers, les "Parrains" tout puissants de ce petit Milieu lacustre, qui fournissaient à prix d'or et en s'allouant de juteuses commissions sur les achats de leurs hôtes, les élégantes prestations hôtelières flottantes réservées à nos groupes.
Épuisée de fatigue, en manque de sommeil, j'avais accepté le déjeuner tardif que le vieux Siah magnanime me faisait servir; il avait certainement quelque bonne raison peu désintéressée de vouloir m'amadouer; et tandis que je dégustais un délicieux curry d'agneau appelé Rogan Josh, mes yeux, embués de larmes arrachées par le piment suivaient distraitement le balancement du houseboat voisin, auquel on accédait par quelques marches et un petit ponton, le légendaire palais flottant, Alif Laila.
Soudain, une agitation et des bruits inaccoutumés se manifestèrent au loin sur la rive, au niveau de l'embarcadère. Monsieur Siah vint s'accouder à ma table et avec un clin d'œil appuyé me lança " Do you know who is coming here, in my place? —Savez-vous qui j'attends ici, chez moi ? The Dalai Lama!." Je crus que c'était une de ces lourdes plaisanteries dont il était coutumier. Mais là-bas, sur Boulevard Street, l'artère circulaire du lac, je distinguai un cortège de voitures de luxe suivi de nombreuses Jeeps, et au bout d'un certain temps, quittant le rivage, je vis s'avancer vers nous une flottille de shikaras aux courtines de coton blanc, débordant de robes brunes et jaunes, couleurs traditionnelles des moines bouddhistes tibétains. Non, cela ne ressemblait pas à une blague!
Quelques instants plus tard, Tenzin Gyatso adressant à la ronde son regard et son sourire chaleureux, abordait sur le houseboat où je me trouvais et traversant la passerelle qui conduisait au Palace voisin s'engouffra dans le Alif Laila, suivi d'une envolée de robes brunes.
Averti par un membre de sa suite que deux Européens souhaitaient le rencontrer, c'est lui qui vint vers nous la main tendue; les convives ayant eu l'honneur de partager son repas s'écartèrent formant deux rangs pour lui ouvrir un passage jusqu'à nous. Notre rencontre avec le Dalai Lama ne dura que quelques instants. De sa voix chaude et musicale il nous interrogea en Anglais, mon compagnon et moi-même, nous posant quatre questions apparemment banales mais qui m'ébranlèrent profondément tant elles me parures essentielles: Qui êtes-vous? D'où venez-vous? Où Allez-vous? Que cherchez-vous? Je restais muette, dévorant des yeux cet homme qui me souriait avec une gentillesse incroyable et prenait la liberté de faire attendre son entourage, tous les notables du pays venus l'honorer, à seule fin de nous consacrer quelques minutes de son temps précieux. Mon compagnon, répondait comme il se doit "Nous sommes Français, nous venons de Paris et nous allons visiter l'Inde, et peut-être aussi le Népal etc." tandis qu'à la question "que cherchez-vous" je hurlais intérieurement "Mon guide spirituel" comme s'il avait le pouvoir de le sortir du sac en coton jaune qu'il portait à l'épaule. Il nous laissa sur un sourire lumineux, se retournant plusieurs fois en agitant la main vers nous tandis qu'il s'éloignait. Pendant l'heure qui suivit cette rencontre, un barrage émotionnel s'effondra libérant ma poitrine de je ne sais quelles séquelles obscures et des larmes de joie roulèrent le long de mes joues avec une telle abondance et si interminablement, que mon compagnon, attendant patiemment la fin de ce silencieux orage finit par chuchoter à mon oreille avec son humour coutumier que le lac Dal était sur le point de déborder et le houseboat prêt à rompre ses amarres. Au milieu de mes larmes, l'éclat de rire.
D'autres rencontres avec le Dalai Lama suivirent celle-ci, un entretien privé en 1986, chez lui, à Mac Léod Ganj, et maintes autres fois en divers lieux dans le monde, où il conférait des initiations suivies de plusieurs jours d'enseignements où nous venions nombreux, du monde entier, apprendre de bouche à oreille, comme au temps du Bouddha, la voie de la sagesse et de la compassion ainsi que les techniques de méditation spécifiques à la tradition du bouddhisme tantrique Tibétain.
Quelques semaines plus tard, comme nous visitions Katmandou, mon regard tomba sur un minuscule imprimé collé sur la porte d'entrée d'un restaurant, proposant un cours de méditation bouddhiste en retraite très stricte d'un mois, au monastère de Kopan. C'est alors, en Novembre 1976, que notre voyage touristique se transforma en voyage d'études et à Kopan Gompa, humble monastère voisin du formidable stupa de Bodhnath, juché sur une colline dominant la vallée de Kathmandu, qu'eut lieu la rencontre avec celui qui se révéla dés ses premiers mots et l'explosion de son rire himalayen comme mon guide spirituel, et le resta pour mon plus grand bonheur jusqu'à sa disparition en Mars 1984: Lama Thubten Yeshé.
Mais ceci appartient à un autre chapitre qui reste à écrire.